Côte d'Ivoire: Le temps des grandes réformes

Publié le par OUATTARA Navaga

Et revoici les réformes structurelles; serait-on tenté de dire. Au cours des années 90, l'Etat de Côte d'Ivoire a dû se soumettre à une thérapie de choc après avoir résisté et différé des réformes qui s'imposaient alors du fait d'une sévère crise (économique celle-là) aux origines tant endogènes qu'exogènes. Certaines de ces réformes, pour douloureuses qu'elles aient pu être, ont permis de restaurer la compétitivité de l'ensemble de l'économie ivoirienne (dévaluation de 1994), d'autres n'ont pas produit la plénitude des effets escomptés notamment celle de la filière café/cacao ayant conduit entre autres, au démantèlement de la Caistab avec ce que cela a pu charrier de charge symbolique et émotionnelle.

Près d'une vingtaine d'années après, la Côte d'Ivoire est à nouveau malade, très malade même. Les effets conjugués des crises militaro-politiques à répétition et d'un pilotage à vue de l'économie, interpellent les nouveaux dirigeants au premier rang desquels un certain... Alassane Dramane Ouattara, déjà à la manette entre 1989 et 1993 à Abidjan, puis de 1994 à 1998 au FMI.

Certes, le contexte sociopolitique marqué, entre autres, par des plaies encore béantes de la crise postélectorale et la préparation des élections législatives, pourrait tempérer les ardeurs, mais la Côte d'Ivoire est à la croisée des chemins et ne peut faire l'économie de grandes reformes dont certaines seront systémiques, dans des secteurs considérés comme névralgiques. Elles vont être douloureuses à maints égards, mais ce sera le prix à payer pour permettre à ce pays de re-devenir ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être.

La plus grosse hypothèque à la reprise de l'économie ivoirienne aujourd'hui, c'est incontestablement le secteur de l'électricité. La réforme de 1998 avait abouti au démantèlement de l'entité publique d'alors, l'EECI (Energie Electrique de la Côte d'Ivoire) et la mise en place d'un cadre institutionnel et opérationnel consacrant la cohabitation entre l'Etat (trois entreprises publiques) et des opérateurs privés, notamment la CIE (Compagnie Ivoirienne d'Electricité) concessionnaire du service public de l'électricité. Un peu plus de 10 ans après la réforme, le secteur est à nouveau dans une situation d'extrême précarité, et la crise de 2010 dont la manifestation a été les délestages et le rationnement de l'énergie électrique (rappelant les délestages de 1984) n'a été que le symptôme d'un mal qui couvait. Cette crise est due principalement au déficit financier persistant du secteur qui n'arrive même pas à couvrir ses coûts d'exploitation a fortiori ses besoins d'investissement, Ceci à créé une dégradation de l'outil de production, de transport et de distribution qui s'est traduite par un déséquilibre tendanciel entre là production d'électricité et la demande, une mauvaise qualité de service et une limitation à l'accès au service. Ce déficit est d'autant plus préoccupant qu'il pèse sur les finances publiques à travers ce qui confine à une subvention de l'Etat, subvention qui s'élèverait en 2011 à environ 100 milliards de F CFA, soit près de 1 % du PIB de la Côte d'Ivoire. Cette subvention tire sa source du fait que l'Etat détient une part du gaz fourni aux producteurs d'électricité. Or cette part de l'Etat n'est pas payée, ou plus exactement, l'Etat a consenti de ne pas se faire payer, ce qui constitue un manque à gagner pour le trésor public, A titre de comparaison, cette subvention est comparable au budget de l'Etat pour la Santé qui est de 108 milliards deFCFAen20l1,

L'absence d'ajustement régulier des tarifs afin de refléter les coûts réels du secteur, les dispositions léonines des contrats de gaz qui se sont révélées défavorables pour l'Etat dans un contexte de flambée du cours du baril de pétrole auquel est indexé le prix du gaz, ainsi que le chevauchement des missions des structures chargées de la gestion du secteur, constituent les principales causes de cette situation.

En raison des implications économiques, sociales et budgétaires du déficit du secteur électrique, le Gouvernement a annoncé son intention ferme de : (i) renégocier les contrats d'achat de gaz, (ii) fusionner les structures étatiques en charge de la gestion stratégique et financière du secteur et de créer une Autorité crédible de régulation et, (iii) revoir la structure tarifaire qui date des années 80 où la production était essentiellement hydraulique. Ceci devrait se traduire par une nouvelle législation pour le secteur électrique en remplacement de la loi en vigueur qui date de 1985 et une éventuelle révision des tarifs à la hausse. Ces mesures urgentes devraient s'accompagner de choix stratégiques d'investissement dans le secteur afin (i) d'accroitre l'offre de production hydroélectrique moins coûteux et moins nocif pour l'Environnement que la production thermique, (ii) d'améliorer les performances du système et (iii) d'accroitre le taux d'accès des populations à l'électricité.

Outre le secteur de l'électricité, celui des hydrocarbures est également l'objet de sérieuses préoccupations. Bien que la Côte d'Ivoire soit un (petit) producteur de pétrole et qu'elle ait su se doter de l'une des raffineries les plus performantes de l'Afrique sub-sahariehne en l'occurrence la SIR (Société Ivoirienne de Raffinage), son secteur-aval' des hydrocarbures est en crise. Pour des raisons sociales, l'Etat a décidé, depuis plus d'un an, de procéder à un blocage des prix à la pompe malgré la hausse tendancielle du prix du pétrole brut sur le marché international depuis environ 10 ans, prix auquel est astreinte la SIR. Cette situation induit à la fois des risques financiers pour la SIR et une subvention de fait (une autre) des prix à consommation qui pour la seule année 2011 coûtera à l'Etat plus de 100 milliards de F CFA, Bien plus, la SIR qui exporte près de 50% de sa production doit faire face à la concurrence farouche d'autres raffineurs en surcapacité et bientôt à celle des raffineries Ghanéennes, Nigérianes et Camerounaises en cours de modernisation. Afin de garantir l'équilibre du secteur et de réduire son poids sur les finances publiques, l'Etat de Côte d'Ivoire n'aura pas de choix que (i) d'investir dans la modernisation de la SIR qui est la plus grande entreprise industrielle de Côte d'Ivoire, et (ii) pratiquer la vérité des prix dont la conséquence devra être une hausse des tarifs à la pompe. Chaud devant !!!

Banque Mondiale

Autre front de réformes et pas des moindres, celui de la filière café/cacao. Depuis la disparition de la Caistab et la mise en place de nouvelles structures ayant accompagné la libéralisation, la filière n'a toujours pas trouvé ses marques, même si elle a fait le bonheur pendant un certain temps de quelques potentats et rentiers de tous ordres au détriment des planteurs et de l'ensemble de l'économie nationale. L'esquisse d'une nouvelle réforme (pour autant que la tentative en fût une) proposée alors par le Comité mis en place en 2009, suggérait la poursuite d'une décennie de siphonage des ressources de la filière au travers d'une pieuvre institutionnelle dont les tentacules seraient (i) un Haut Commissariat au Café/ Cacao, (ii) un organe de commercialisation contrôlé à plus de 60% par l'Etat, et (iii) une Chambre des Producteurs. Si cette pieuvre avait pris corps, elle contrôlerait la filière de bout en bout au nom des producteurs incapables de s'organiser et de prendre en charge leur destin, et pour leur protection contre des intermédiaires prêts à faire feu de tout bois.

Pourtant s'il y a deux constantes dans cette filière en crise, c'est que : (i) le planteur jusqu'ici ne bénéficie pas d'une juste rémunération de son labeur, et (ii) malgré tout, entre le verger et le port, il ya bien eu des acteurs qui ont permis de sortir plus du million de tonnes de cacao en pleine année de crise politico-militaire. Preuve s'il en est, que tous les maillons de la chaîne ne sont pas grippés. Une réforme réussie serait celle qui (i) garantirait une meilleure rétribution des planteurs qui reçoivent jusqu'ici environ 40% du prix international contre 60 à 70% pour leurs homologues ghanéens, nigérians et camerounais; (ii) allégerait la ponction fiscale et parafiscale sur les exportations. A cet effet l'objectif du plafonnement à 22% comme le prescrit un des déclencheurs du point d'achèvement de l'initiative PPTE est atteint depuis 2010 ; (iii) établirait des instituions "légères" de gestion (pourquoi pas une interprofession) et de régulation qui soient transparentes dans leur fonctionnement, efficientes en termes de coûts, et redevables auprès, non seulement des acteurs de la filière mais aussi vis-à-vis de la communauté nationale dans son ensemble; (iv) accompagnerait les acteurs dans une démarche inclusive de recherche de réponses aux questions essentielles qui à terme compromettraient la durabilité de la filière si elles ne sont pas traitées. Il s'agit entre autres, de la faiblesse des rendements (350 à 400 kg à l'hectare contre 900 à 1200 en Indonésie et en Malaisie, du vieillissement du verger qui pourrait induire une vaste campagne d'arrachage, l'accès aux intrants, la certification etc; et enfin (iii) développerait un partenariat public-privé intelligent pour mettre en œuvre ces réponses, qui exigeraient des ressources, financières et technologiques bien au delà des possibilités du trésor public. 

Les nouvelles autorités semblent avoir pris la mesure des enjeux et ont mis en place un groupe qui travaille sous la supervision du Ministère de l'Agriculture et dont le mandat est de proposer un nouveau schéma de réforme qui, nous l'espérons, apportera, cette fois-ci, de bonnes réponses aux vraies questions.

Autre chantier aux enjeux multiformes, la place portuaire d'Abidjan. Véritable hub pour de nombreux pays de l'Afrique de l'Ouest, le port d'Abidjan a fait l'objet d'une première réforme ayant abouti, entre autres, à la concession du terminal à conteneurs à la fin de l'année 2003. Malgré toute la jacquerie distillée par cette opération, force est de reconnaître que le terminal à conteneur du port d'Abidjan est devenu le plus performant de toute la côte atlantique juste après celui de Durban en Afrique du Sud avec une cadence de 23 à 30 conteneurs à l'heure. Mais, paradoxalement, comme le montre une étude récente de la Banque mondiale sur les sources de croissance2, le port d'Abidjan est l'un des moins compétitifs de l'Afrique de l'Ouest du fait des tracasseries de tous ordres, du coût de passage des marchandises et des entraves à la facilitation du commerce extérieur. Ainsi, la durée de transit d'un conteneur à l'importation est de l'ordre de 9 à 12 jours contre une moyenne de 2 jours à Dakar. Le coût total de transit de marchandises d'Abidjan au Burkina Faso est 16% plus cher qu'à partir de Lomé et 40% plus cher que de Tema au Ghana. Plus globalement, le port d'Abidjan est réputé être près de 35% plus cher que la place de Lomé. Cette situation est due, entre autres, aux nombreux intervenants sur la place portuaire et surtout à l'omniprésence et l'omnipotence de l'administration douanière. La réduction des intervenants, la création d'une véritable Guichet Unique du Commerce Extérieur (GUCE) permettrait à la fois de réduire le coût et la durée de passage des marchandises. C'est à ce prix que la place portuaire d'Abidjan recouvrera sa compétitivité et deviendra effectivement un hub. Mais entre temps, Tema, Lomé, Cotonou et même Dakar améliorent chaque jour davantage leurs performances. Rude sera la compétition et Abidjan est handicapé par le racket et les tracasseries de tous ordres qui rendent prohibitif le coût réel de transit des marchandises entre la Côte d'Ivoire et les pays voisins enclavés. 

De nombreux autres secteurs qui concourent à l'amélioration ou à la dégradation de l'environnement des affaires ne seront pas épargnés par la vague de réformes si les autorités ivoiriennes veulent attirer tous les capitaux privés dont le pays a grand besoin. Il s'agit notamment de la justice avec la création, longtemps annoncée et toujours attendue, de la Cour des Comptes et des tribunaux de commerce, du secteur financier peu adapté au financement du haut du bilan des PME, de toutes les procédures de création des entreprises qui font de la Côte d'Ivoire l'un des derniers de la classe d'après les indicateurs Doing Business 2011 (172ème sur 183), etc. Que dire du secteur de l'Education et tout singulièrement de l'Enseignement Supérieur en totale décrépitude alors qu'autrefois il faisait la fierté de la Cote d'Ivoire ? 

Quand le 7 Septembre dernier le Président Ouattara annonçait que toute le Côte d'Ivoire serait en chantier en 2012, il pensait certainement aux infrastructures physiques. Pourtant d'autres types de chantiers, plus soft ceux là, mais bien plus ardus, sont déjà présents dans les esprits. Les chantiers des grandes réformes structurelles dont la Côte d'Ivoire ne saurait faire réconomie. A moins que...

Par EMMANUEL NOUBISSIÊ NGANKAM

Publié dans Economie

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